Suite du débat sur “l’inexistence de Dieu”
Le cinquième argument de Sébastien Faure est assez proche de précédent : Dieu ne peut pas avoir créé, parce qu’il aurait ainsi changé deux fois, « la première fois, lorsqu’il a pris la détermination de créer ; la seconde fois, lorsque, mettant à exécution cette détermination, il a accompli le geste créateur. S’il a changé deux fois, il n’est pas immuable. Et s’il n’est pas immuable, il n’est pas Dieu, il n’existe pas. »
Prisonnier de la conception qu’il avait de Dieu à l’âge de cinq ans et demi, Sébastien Faure n’a pas réalisé que, pour une volonté divine, « se déterminer à agir » et « agir » sont forcément une seule et unique chose. Quelle différence pourrait-il bien y avoir entre ces deux actes pour une volonté éternelle et toute-puissante ?
Faure oublie surtout que le créateur du temps est nécessairement en dehors du temps. L’être humain, qui est, lui, prisonnier du temps, se représente trop facilement l’éternité comme un temps qui dure toujours, alors qu’elle est, au contraire, l’absence de toute succession temporelle. Parce qu’il ne change pas, Dieu vit dans un perpétuel présent, sans passé ni futur. Comme le musicien considérant d’un seul coup d’œil toute la partition d’un morceau de musique – depuis la première note jusqu’à l’accord final –, ou comme un cinéphile qui aurait déroulé sous ses yeux toute la pellicule d’un film, Dieu voit éternellement l’ensemble de notre histoire, avec son début, son déroulement et sa fin, sans être lui-même soumis à cette succession temporelle. La création a eu un commencement du côté de l’univers, qui a réellement commencé à exister, mais elle n’en a pas du côté de Dieu, qui n’a jamais commencé à créer. Le temps est créé depuis l’éternité.
Un simple coup d’œil à saint Thomas d’Aquin aurait évité à Sébastien Faure de se ridiculiser sur ces questions [7].
Texte reproduit avec l’aimable autorisation des Dominicains d’Avrillé
[7] — Saint Thomas d’Aquin est, sur cette question comme sur beaucoup d’autres, l’héritier des réflexions de saint Augustin (et de Boèce). Voir sa Somme théologique, première partie, question 10, articles 1 et 4.