(Suite du dossier sur les “preuves de l’inexistence de Dieu”)
Sébastien Faure attaque d’abord le Dieu créateur : la création à partir de rien (ex nihilo) serait une impossibilité, une absurdité, car « avec rien, on ne peut rien faire ».
« On » ? Vous avez dit « on » ? Mais qui est ce « on » ?
S’il s’agit de Sébastien Faure et de ses lecteurs, la sentence est incontestable. Nous autres, humains, sommes absolument incapables de faire sortir l’être du néant. Nous ne pouvons que modifier ce qui a déjà l’existence. Constat évident, mais assez peu étonnant, vu que, déjà,nous ne nous donnons pas à nous-mêmes l’existence. Aucun humain ne peut prétendre qu’il existe uniquement par lui-même, de façon indépendante et absolue, sans jamais avoir rien reçu de l’extérieur. Il est donc normal que nous ne puissions rien faire sortir du néant. Comment pourrions-nous être maîtres absolus de l’existence de quoi que ce soit, alors que nous ne sommes même pas maîtres absolus de notre propre existence ?
Mais on ne peut s’arrêter là. Car malgré tout, nous existons ! Nous existons de façon dépendante et relative, mais réelle. D’où vient donc notre existence ? Ici, la logique est implacable : si des êtres imparfaits reçoivent l’existence sans l’avoir par eux-mêmes – c’est notre cas à tous –, il doit y avoir, au dessus, un Être au sens fort du terme, qui possède l’existence par lui-même, de façon éternelle et absolue, et qui la communique aux autres. Le contraire est impossible et même impensable. Il ne peut pas y avoir d’êtres recevant l’existence s’il n’y a pas, quelque part, pour la leur donner, un être qui existe par lui-même ! C’est une nécessité absolue, face à laquelle le principe de Sébastien Faure (« avec rien, on ne peut rien faire ») n’est qu’un jeu de mots.
Il y a même un double jeu de mots.
D’abord, l’ambiguïté du pronom indéfini « on » : si ce « on » est pris pour « nous », la sentence est vraie : nous autres, qui n’existons pas par nous-mêmes, sommes incapables de faire sortir l’être du néant. – Mais si le « on » est pris de façon absolue, la sentence devient fausse, puisqu’elle rend notre existence inexplicable.
Elle conserve pourtant encore une apparence de vérité où Faure pourrait se réfugier, en répétant avec obstination : « Non, non ! C’est impossible ! L’être ne peut pas sortir du néant ! » C’est le deuxième jeu de mots.
Et là, soyons très clair : du néant absolu, rien ne peut sortir, c’est bien entendu. Le néant ne peut rien produire, nous sommes tous d’accord. Mais pourquoi en sommes-nous si sûrs ? Qu’est-ce qui nous fait exclure si énergiquement cette hypothèse ? C’est ce que les métaphysiciens appellent le principe de causalité. Un principe très simple, immédiatement évident : rien ne peut apparaître sans une cause proportionnée. Le néant ne peut pas engendrer l’être, parce qu’il faut à tout prix une cause – et une cause proportionnée, qui puisse rendre compte de ce qui commence à être. Or, précisément, dans le cas de la création, cette cause existe, et elle s’appelle Dieu ! Affirmer la création n’est aucunement affirmer qu’une chose pourrait commencer à exister sans cause. C’est affirmer, au contraire, que Dieu – cause suprême de tous les êtres et cause première de toutes les causes – n’a besoin d’aucune autre cause que lui-même pour les faire exister. Comme l’explique saint Thomas d’Aquin : Lorsqu’on dit que Dieu fait quelque chose « de » rien (ex nihilo), la préposition « de » (ex) ne désigne pas la cause matérielle, mais une simple succession [2].
Autrement dit : Dieu crée de rien en ce sens qu’il crée sans rien. Le néant n’est aucunement la cause de ce qui apparaît. Cet acte créateur nous déroute, car il échappe à notre expérience quotidienne, mais il n’implique aucune contradiction. Il n’a rien d’absurde. Il est même nécessaire, dès qu’on accepte de chercher la Cause première de ce qui existe.
Mais il faut, pour cela, dépasser les conceptions infantiles où Sébastien Faure semble enfermé. Dieu n’est pas une sorte de baguette magique, ou un superhéros doté de superpouvoirs. Il s’est révélé à Moïse comme l’Être absolu (« Celui qui est » Ex 3, 14). Saint Thomas d’Aquin l’appelle l’Ipsum esse subsistens (l’Être même subsistant). Comment refuser la capacité de faire exister à Celui qui existe par lui-même ?
[2] — Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, première partie, question 45, article 1, réponse à la troisième objection. Sébastien Faure aurait gagné à lire toute cette question 45.
Source. Reproduit avec l’aimable autorisation des Dominicains d’Avrillé